Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

lundi, juin 26, 2006

Parole de trait

読書行楽 - dokusho kôraku - L'étude est un voyage

Composée de quatre caractères très riches de sens, cette expression est beaucoup plus évocative que traduction directe. Lire, écrire, voyage, plaisir. L'écrit est double, et unité inséparable : lire et écrire est un couple qu'on ne sépare pas. Le pinceau et la parole sont liés en par une entente secrète qui se révèle à qui sait regarder : la calligraphie fait parler le non-dit, exprime par l'évocation les harmoniques de chaque parole. Tout l'être intérieur se dévoile par la calligraphie, pour porter la parole encore plus loin, et toucher le coeur en plus de l'esprit. La calligraphie parle.

Mon entourage me demande souvent pourquoi je fais de la calligraphie sino-japonaise. Longtemps, je n'ai pas su. Tracer ces quatre caractères donne un début de réponse. Je suis linguiste. Ma vie entière a été consacrée à l'apprentissage de langues étrangères et à cultiver ma langue maternelle. J'ai fait d'innombrables voyages de plaisirs dans plusieurs langues et en plusieurs langues. J'ai toujours cherché des mots pour mettre un terme à tout ce dont mon imagination et ma sensibilité avait l'intuition. J'ai été souvent ébloui de découvrir le mot exact correspondant aux états de mon coeur dans le vocabulaire des langues que j'ai apprises, comme l'allemand Verfremdung, Gemüt ou Sehnsucht sans équivalent dans aucune langue que je connaisse. Et si cette quête était sans fin ? Et si toutes les langues du monde n'y suffisaient pas ? Alors la calligraphie vient-elle me chuchoter dans le parfum de l'encre fraichement frotté sur la pierre une voie pour aller au delà des mots et rendre lisibles les mouvements de mon intérieur. La calligraphie chinoise et japonaise est un langage, qui parle et qui fait parler. J'ai donné un pinceau à mon coeur, je lui ai donné une voix. Il n'est pas de meilleure raison pour faire de la calligraphie.

lundi, juin 19, 2006

Exercices


Je n'ai pas fait que pester contre des prétentieux ce weekend (voir entrée du 18 juin), je me suis aussi remis au travail. Après le cours de calligraphie, c'était comme un souffle d'énergie, et j'ai vite repris les pinceaux. J'essaie toujours de mener de front l'apprentissage du style courant gyôsho en plus des bases de régulière kaisho. Je suis maintenant beaucoup plus exigeant avec moi-même en régulière, depuis le temps que j'en fait, je dois absolument être capable d'arriver à une maîtrise des techniques de base. La prof semble de cet avis, ce qui est encourageant, évidemment. Elle ne me corrige plus vraiment en régulière, elle me laisse juste tracer quelques caractèrs devant elle pour être sûre et surveiller la position du dos. Je le sais, alors je fais attention. Le fait est que quand on se tient bien droit, on trouve le calme plus facilement, le bras est plus libre pour bien mener les mouvements jusqu'au bout, et c'est la seule façon de faire des traits verticaux bien droits. La formule en régulière 山高水長 - sankô suichô - est un extrait d'un poème chinois, où Li Bai parle de hautes montagnes et de longs cours d'eau. Elle offre une grande variété de traits, et il y a une sorte d'équilibre contemplatif entre les deux éléments d'un côté, la montagne et l'eau, et les deux adjectifs qui les décrivent de l'autre, haut et long. Cela suffit à évoquer un paysage chinois classique dans sont entier, y compris les non-dits entre les éléments, ces vides blancs sur les peintures traditionnelles, si essentiels à l'harmonie de la composition.

Je fais ce mois-ci l'exercice en courante gyôsho que j'avais essayé expérimenté en cursive sôsho il y a quelques semaines (voir entrée du 31 mai) - 魚遊水底涼 - Les poissons jouent au fond de l'eau, ou traduit en japonais 魚が涼しそうな水の底で遊んでいる - Uo ga suzushisôna mizu no soko de asonde iru. Je préfère en rester au style courant gyôsho cette année, et envoyer sagement tous les mois le même type d'exercices, ça donnera une idée très précise de mon niveau à mes correcteurs. J'attends d'ailleurs toujours avec impatience leur verdict : normalement, quand on n'est pas vraiment débutant, on obtient un grade de référence assez rapidement. Les grades japonais s'appellent les kyû, 級, c'est comme dans les arts martiaux. Ce n'est pas très important au début, ça ne devient sérieux qu'au dixième degré, qui correspond à un diplôme de formation de base en calligraphie. C'est pas pour tout de suite, ç a prend un certain temps...

dimanche, juin 18, 2006

Stop !


止まれ!STOP ! Internet est un endroit effrayant. Ce n'est pas de sa faute, c'est juste que n'importe qui y fait n'importe quoi. Je surfais innocemment, un peu comme souvent quand je suis par mots-clefs ma curiosité du jour. Un simple shodo dans une case blanche, un clic et PAF! Tétanisé d'effroi, je n'ose y croire. Tous les vices qui comportent de la vanité, de la prétention et de la mauvaise foi ont désormais une adresse url. Attention, âmes sensibles, ne cliquez pas.
http://www.brandon-san.com/art.php

Ce ridicule personnage a l'incroyable toupet de demander de l'argent pour des horreurs pareilles ! Je m'interdis strictement toute moquerie envers l'honnète et laborieux passionné qui pratique la calligraphie comme un exercice de l'esprit et du corps, mais quand l'amateurisme se mèle à l'arrogance et la cupidité des ignorants, il est du devoir de chacun de remettre le coupable à sa place. En l'occurrence un certain Brandon, sis au Texas, et qui visiblement éprouve une fierté sans borne pour son travail. Qu'il pratique un art martial, aucun mal, mais il avoue sans détours avoir fait son site essentiellement pour vendre son "art" ! Je suis attéré. La "chose" artistique en question consiste en quelques barbouillages de caractères japonais tous inspirés du monde des samouraïs tel que cet individu le fantasme. Ce pauvre garçon est la victime d'une industrie sur laquelle je ne m'étendrais pas, mais il provoque mon courroux en se faisant bourreau de la calligraphie.

Pauvres yeux que ces maleureux globules qui posent leur regard sur ces torchons. Le 居合 est carrément méconnaissable et le reste est guère mieux. Aucun sens de la composition, à tel point que les caractères sont complètement démentibulés ; aucun sens des proportions, jusqu'à tracer des éléments d'un même caractère à des échelles différentes ; aucun sens du mouvement, ce qui donne des traits déhanchés, des lignes tordues, des attaques et des arrêts cagneux, des pointes en fin de trait qui partent anarchiquement sans se lier à l'élément suivant ; aucune maitrise de base, avec des angles absents, des pointes bâclées, des pâtés d'encre à des endroits incongrus.... sans compter qu'il ne sait pas faire un point, qu'il recharge visiblement son pinceau n'importe comment en plein milieu, et qu'il ne fait pas deux attaques identiques. Et il faudrait payer pour ça ?? Non mais, c'est fini de se foutre de la gueule du monde !? D'où s'arroge-t-il le droit de massacrer des millénaires de culture ?

Cette insupportable mascarade pousse la bouffonerie jusqu'à singer le vocabulaire des honnètes amateurs : il parle de son "sensei", un Américain qui a dû passé un peu de temps dans un dôjô japonais. Et bien, il n'a pas de quoi être fier, le pseudo-sensei et son sabre en bois sans pouvoirs magiques. Il aurait dû prendre plus de soin à enseigner l'humilité à ses ouailles. Et puis nulle trace de sensei de calligraphie, ce qui ne serait pourtant pas du luxe. Ce genre de personnages, je les appelle les post-pubères, car malgré la barbe, ils vivent toujours dans les référents de leurs années infantiles adolescentes. Quand un enfant fait vivre son imaginaire et se prend pour un samouraï, c'est attendrissant, même quand il fait semblant d'écrire des signes-gribouillis pour représenter son Samouraïland fantastique, mais quand un adulte demande de l'argent pour un tel enfantillage, le ridicule rejoint le pathétique.

Que ce soit clair : être amateur, dillettante, c'est très bien, mais il ne faut pas se faire passer pour ce qu'on est pas. L'individu épinglé aujourd'hui atteind simplement des sommets dans le genre "qui pète plus haut que son cul". Par ce blog, j'affiche simplement mon honnète dillettantisme sans prétendre avoir jamais fait aucune calligraphie digne d'être présentée comme de l'art. Et ça va durer encore quelques années, car le chemin est long - et c'est très bien comme ça.

jeudi, juin 15, 2006

Espoir


光明 - kômyô, espoir, futur radieux
Déjà une semaine que je n'ai pas touché mes pinceaux. Un court séjour à l'étranger, une dent de sagesse capricieuse... il y a toujours un prétexte pour ne pas se remettre à l'étude. En sortant de chez le dentiste, ce matin, je suis allé me consoler de l'injustice odonthologique en resortant les feuilles d'exercices des mois passés. Le petit tas de papier dormait comme un trésor de fausse modestie. J'avais gardé les moins mauvaises de mes productions en espérant qu'elles soient bonnes. Le temps devait donner raison à mon ego. A genoux sur le sol, j'étalai les feuillets devant moi. Derrière chacun, je revois la patience et la persévérence, je ris encore des ratés mémorables qui arrachaient un sourire complaisant à la prof. Certains caractères retiennent mon attention. Ils ont survécu à l'épreuve du temps. Non pas le temps de l'histoire, mais le temps du chemin de l'apprentissage. Je me rends compte que je n'avais pas eu toujours tort de garder ces feuillets. On ne progresse pas linéairement, il y a parfois des instants inspirés. Ça ne dure que le temps de finir un tracé, et déjà le prochain caractère est maladroit. Je suis heureux d'avoir gardé certains de ces moments.

lundi, juin 05, 2006

Photoshop

Le dinosaure que je suis se dévergonde : avec photoshop. N'allez pas croire que je viens juste de l'acquérir, c'est un programme qui sommeille tranquillement depuis des années dans mon ordinateur que je ne réveille guère que pour changer les formats de mes photos. En fait, tout partit d'une frustration. Sur les feuilles parfaitement blanches, l'encre parfaitement noir offre un contraste puissant. Malheureusement, mon amateurisme coupable en photographie numérique ne lui rend pas justice. Les photos que je place ici sont sensiblement plus terne que ce que l'on voit en vrai. M'essayant quelques instants à reproduire l'impression réelle sur la version numérique, j'abandonne rapidement. Car en matière de contraste, photoshop est imbattable. La preuve.

Ce 心 - kokoro - serti de noir et rendu dans un contrast maximal par mes soins, est une surprise étonnante. Ce programme est en fait un outil de découverte formidable. Les épaisseurs de trait et les volumes de chaque mouvement sautent au visage, alors qu'il faut se concentrer pour bien les voir sur le papier. Tout devient plus violent et plus profond. Je me surprends à aimer ce mélange de manipulation numérique et d'art du pinceau. J'ai aussi manipulé quelques caractères calligraphié nettement moins bons que ce 心 et c'est un choc ! Le moindre défaut devient une monstrueuse horreur que la décence défend de montrer ici. Mais la manipulation magnifie aussi les exercices mieux réussis. Ce petit jeu me rassure indirectement sur l'avenir de la calligraphie dans le monde des médias. Très photogéniques, sortant plutôt vainqueurs des bidouillages graphiques, les caractères chinois et japonais calligraphiés se font naturellement leur place dans le monde digital qui nous dicte ses formats. La modernité n'est pas un monstre qui bouffe tout... qui l'eût cru ?