Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

samedi, avril 28, 2007

Savoir encore

La journée s'annonçait longue et la paresse me trainait tout juste entre la théière et la tasse. L'appartement est vide, le silence relatif de la ville qui bâille encore un samedi matin mais le soleil est déjà fier. Il n'est pas encore midi dans la chaleur précoce d'un avril estival. En passant devant mon secrétaire, je passe la main doucement sur l'arrête du meuble. Il est neuf. Mon matériel de calligraphie y est rangé depuis hier. Je ne résiste pas et l'ouvre sans y penser. Les pinceaux alignés sur le portique attendent sagement, mais j'entends comme un murmur entre eux. Le feutre, l'eau et la pierre sont déjà prêts. Il me suffit de prendre l'encre, de saisir un pinceau pendu juste devant mes yeux, et tout est là.


Le rituel de l'encre et des traits isolés me plonge dans mes souvenirs noirs et blancs. Je me mets à tracer quelques caractères appris ces derniers mois, retrouvant des gestes qui avait été pourtant si obstinément hésitants alors. Les feuilles se succèdent à un rythme lent mais régulier sous mon pinceau rêveur. Quand une pensée me saisit.


不識 - fushiki, Je sais que je ne sais rien. Les quelques caractères bien enchaînés font écho aux milliers d'autres que je ne saurais même pas esquisser. Je sais me contenter de mes progrès de l'année passée, et de l'espérance de ceux de l'année prochaine. C'est bien peu de simplement savoir se pencher sur sa feuille, mais elle nous montre à chaque tentative de tracé que la certitude est une illusion vaniteuse. Non, jamais je ne saurai comment un simple trait noir peut me bouleverser autant, jamais je n'aurai aucune idée de la nature du calme intérieur qui m'envahit, comme on ignore la nature du néant ou le sens du temps qui nous rend si éphémère... et c'est bien ainsi.

vendredi, avril 27, 2007

Intérieur


心 - kokoro, coeur
Regarder des calligraphies de Maîtres talenteux me met dans un drôle d'état. Le papier immobile à jamais semble attendre mon oeil curieux. Je m'approche sans crainte, je sais laisser errer mon regard au gré des mouvements noirs dans le doux espace blanc de la feuille. J'y trouve un point de départ, un indice qui me met sur la voie du souffle qui porte la calligraphie. En suivant des yeux la danse du pinceau, je revis intérieurement la vague créatrice qui traverça le tracé, emporté dans un monde intérieur qui devient le mien. Je ne connais pas le calligraphe et pourtant, son trait entre en moi, et c'est mon intérieur qui vibre. Le coeur est la dimension profondément humaine de l'universel qui nous relie au néant originel, la synthèse de toutes nos contradictions afin d'être complet. La calligraphie des grands Maîtres met mon coeur en mouvement, et une partie de moi se confond à ce fascinant trait noir.

jeudi, avril 26, 2007

Harmonie


平和 - heiwa, harmonie
L'un des caractères les plus calligraphiés au Japon est 和 sans doute parce qu'il sert d'abréviation pour le Japon, et que le sens premier de paix, harmonie idéalise l'image du Japon. Ce composé juxtapose deux caractères de sens très proche au point de se confondre et se répondre l'un l'autre dans une curieuse intimité lexicale. J'ai mis du temps avant d'oser montrer mon interprétation de ce mot. Il est tellement souvent représenté, copié, repris, collé, étiqueté sur tout et de partout que je m'expose à une sévère comparaison. Il faut avoir le courage de ne pas rougir de ce que l'on sait pas faire et se contenter de faire ce que l'on sait faire. Je me suis appliqué à rendre la douceur de l'harmonie et la plénitude de la paix, dans le seul espoir qu'il s'en dégage un peu pour les lecteurs de ce blog.

mardi, avril 17, 2007

Tout en souplesse


亥 - onoshishi, année du cochon


Les signes zodiacaux ont leur caractère spécial. Celui de l'année du cochon est étymologiquement très proche du caractère de l'animal lui-même 豕. Il présente un probléme intéressant de composition. Avec tous ces traits en biais, il est assez difficile de bien l'équilibrer. En courante et cursive, la dynamique est renforcée par l'accentuation de la perspective. Le caractère peut se tracer soit bien planté dans ses traits, soit nettement de profil et éclatant. J'aime jouer de ces contrastes, je suis avec bonheur les encouragements de la prof à plus d'audace. Il y a quelques mois encore, jamais je n'aurais osé faire une trait horizontal aussi en biais. Les caractères sont plus beaux légèrements tournés de trois-quart comme un portrait, selon les mots mêmes de ma prof. C'est grâce à cette remarque que j'ai compris que les caractères ont un corps, qu'il ondule, se dresse, et vit comme le nôtre.

dimanche, avril 15, 2007

Papier


月光 - gekkô, clair de lune (sur papier journal)
水地 - mizu chi, l'eau et la terre ( sur papier journal)

Partir en vacances me met devant une alternative simple en apparence : emmener le matériel de calligraphie ou bien rester des semaines sans faire d'exercice. Pour les congés de Pâques, j'ai opté pour la solution la plus sage. Sauf que je n'ai pas pu prendre des kilos de papier. Forcément, le moment est venu où je me suis retrouvé à court. C'est alors que je me suis souvenu d'une anecdote de ma première prof de calligraphie : pour économiser le papier, son père lui faisait faire les exercices techniques sur du papier journal, ne sortant le beau papier qu'une fois une certaine maitrise assurée.


Force est de constater que les journaux allemands font également parfaitement l'affaire, sauf sur les photos en couleurs qui donnent un grain trop lisse et imperméable. Je dirais même que le tracé est agréable. Un petit truc à connaitre, et peut-être la source de quelques idées graphiques.

samedi, avril 14, 2007

Eternité


永 - éternité


Sur une île de la mer du nord, une légère brise marine éffile les nuages dans l'immense ciel frison. Le soleil câline la plage et les dunes de doux rayons printaniers. La lumière déjà puissante pour la saison illumine la fenêtre du petit salon. Le pinceau m'a accompagné, je respire la paix de cette île et trace feuilles après feuilles les caractères qui me passent par la tête. Je ne cherche rien, c'est le flux de l'encre qui m'emporte et me guide. Dans l'apparent chaos de cette errance calligraphique, les traits et les enchaînements se répondent, le souvenir du geste se mêle à la mémoire des yeux et le pinceau finit par me commander autant que je le guide. C'est alors qu'un mouvement sugit du fond de l'oubli, anime mon bras et mon poignet, fait glisser le pinceau sans hésitation sur la feuille, et je découvre le tracé cursif noir : éternité.


Malgré la semi-conscience de ce que je faisais, ce fut si spontané, avec une fluidité si assurée sans réfléchir au tracé, qu'il me fallut quelques instants pour comprendre ce qui venait de se passer. Le plaisir de me remémorer des exercices passé a réveillé un mouvement de cursive que je m'étais appliqué à apprendre il y a quelques années. Est-ce mon instinct, mon corps, mon pinceau, une partie mystérieuse de la mémoire ou bien mon inconscient réactivé par la paix de cette île du nord... jamais je ne saurai.