Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

dimanche, mars 22, 2009

La beauté des bois de cerf

rei, lì - beau, élégant, magnifique
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丽 est le chinois simplifié de 麗. Il s'agit d'un cerf aux bois magnifique. La simplification par métonymie graphique a été productive, mais ce n'est pas une amputation aussi sanglante qu'on pourrait croire. J'entends souvent des Japonais ou Chinois partisans du traditionnel crier au crime dès qu'ils voient une calligraphie en simplifié. En général, j'en fais partie aussi. Mais parfois, les apparences sont trompeuses. En sigillaire, les deux formes sont attestées. La métaphore des magnifiques bois de cerf a été doublée très tôt d'une métonymie qui ne gardait que les beaux bois, supprimant la bête. La simplification n'a ainsi que repris une variante ancienne qui ne s'était pas imposée. Même simplifiée, la métaphore originale est intacte. Je reconnais cependant volontier qu'il est sans doute plus poétique de voir l'animal entier plutôt que le simple trophé détaché de la bête.

samedi, mars 21, 2009

Figuratif


Ceci est une interprétation de 牛. Il s'agit de reprendre les tracés sigillaires anciens, encore très figuratifs, au pinceau, dans un esprit de dépouillement graphique sans perdre totallement le lien avec la valeur figurative du sigillaire. Dis comme ça, c'est pompeux et fort peu distrayant pour le lecteur, mais c'est l'intérêt de ce billet quand même : vu dans un livre de calligraphie, j'ai trouvé la démarche intéressante. En reprenant au pinceau des tracés qui étaient à l'origine taillés dans la pierre, on s'offre une palette graphique infinie sans code strict et cependant lisible. Le choix de l'asymétrie est de mon fait, mais le tracé est repris du modèle. Les tracés sigillaires sont l'identité graphique des caractères, leur étymologie et leur lien avec le réel. Pour un Chinois, le caractère est non seulement le signe, mais il est la chose aussi. C'est antisaussurien : pas d'arbitraire du représentant par rapport au représenté, le boeuf m'est pas moins un boeuf sur la feuille que dans l'étable. L'arbitraire n'existe pas à l'origine des caractères, ceux-ci représentent directement ce qu'ils signifient. La réinterprétation des modèles sigillaires dans l'esprit graphique moderne est la réaffirmation de ces racines.

vendredi, mars 20, 2009

Bateau au port


不載清風 fusaki seifuu, bú zài qīng fēng
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C'est une fois déchargé que le bateau repart dans le vent pur
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Le pécher est occidental. Bouddha s'en fout. Je me frotte régulièrement à des bouddhistes occidentaux qui déblattèrent les inepties habituelles de leur religion précédente en l'assaisonnant de wasabi. Je ne les cherche même pas, il semblerait que je les attire. Le dernier en date m'a carrément sorti que le zen offre la rédemption par la maîtrise des mauvaises énergies. Et ça se dit zen... si c'est pas malheureux. Il ne doit pas avoir wikipédia dans son dôjô mystico-urbain.
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Justement, cette même semaine, notre professeure de calligraphie nous propose cet exercice. En japonais, on comprendra deux composés mis en parallèle. D'abord on décharge, et ensuite, à nous le vent pur. Mais de quoi se débarasse-t-on ? Sans doute mon zenoïde urbain essaie-t-il de décharger sa mauvaise conscience et son sentiment de culpabilité dans un grand trou conceptuel, mais pour un bouddhiste moins illuminé, on peut chercher à plusieurs niveau : idéal (la cupidité, la colère et l'ignorance) ou personnel (attachement, égoïsme ou consumérisme). A chacun de voir. Et de quel vent s'agit-il ? Je ne doute pas que mon bonzounet helvète rêve d'un grand pardon métaphysique, ce n'est pas moi qui vais le réveiller en plein délire, mais pour des gens cultivés avec un abonnement à la bibliothèque universitaire, c'est plutôt du côté de l'éveil qu'il faut voir. Lui aussi est à plusieurs niveaux : l'idéal est l'illumination bouddhique, le nirvana ultime, mais tous les moments de révélation de cette vérité bouddhique dans nos modestes vies sont autant de pas dans la bonne direction d'autant plus précieux qu'il se font dans le silence et pour soi-même.
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Cependant, je ne condamne pas les délires des autres, car j'ai les miens. Je suis aussi dans l'illusion et c'est très bien comme ça. La seule différence, c'est quoi moi, je n'ai pas fondé de communauté de méditation ou pire un groupuscule zénisant au statut fiscal avantageux. J'aime la Suisse, j'aime le cheminement bouddhique, j'aime l'indépendance libertaire - mais les trois à la fois, c'est un peu trop.

jeudi, mars 19, 2009

Découvrir


wa, hé - paix, harmonieux
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On dirait que c'est toujours la même chose : la paix, l'harmonie, le calme et la méditation. On retrouve les mêmes caractères dans pratiquement tous les textes bouddhiques et dans la tradition japonaise. Tout n'est qu'éternelle répétition. Loin de créer l'ennui, c'est justement cela qui suscite mon intérêt. Comprendre un mot est une chose. Comprendre le concept bouddhique ou s'imprégner d'une tradition en est une autre. On n'y arrive pas du premier coup. Mais pour s'en rendre compte, il faut persévérer.
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La calligraphie n'est pas différente de la rencontre avec un peuple entier. On voit, on revoit, on reprend des discussions semblables des dixaines de fois, on croit avoir tout vu tout compris... et puis, soudain, on sait qu'on ne comprend rien. Ce moment magnifique m'enchante. Ce n'est pas détruire des certitudes, c'est comprendre que les certitudes n'existent pas. L'enchantement doit durer éternellement, dans la continuité mais en retournant toujours tout. Alors je suis heureux de tracer pour la millième fois ce caractère anodin, mais avec un peu moins d'encre, un peu plus de calme, de fougue et de maîtrise... et surtout, sans aucun modèle. C'est cela, la découverte.