Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

dimanche, avril 16, 2006

Création


La calligraphie japonaise m'accompagne maintenant depuis deux ans. Des cours privés, des centaines de feuilles passées à la poubelle, quelques pinceaux... et parfois un résultat qui se laisse voir.

L'étude est longue, lente, et c'est tout l'intérêt de la chose. J'ai passé assez d'examens dans ma vie, j'ai assez de diplômes, autant de preuves officielles que je ne suis pas un idiot. Il était temps que je le redevienne. Quand le pinceau se pose sur la feuille, que l'encre immédiatement se répend lentement dans les fibres du papier, je suis à nouveau un idiot heureux qui s'émerveille de ce minuscule mouvement des éléments. Il n'y a rien à comprendre, rien à analyser, il suffit de voir, de faire, et de laisser faire. Le trait nait du mouvement du bras, la trace n'en est pas la conséquence mais l'essence. Et c'est tout. Juste un trait. Ça suffit.

Quand on écrit un caractère, on ne trace pas une forme arbitraire. Il n'y a pas d'absurde. Le monde est tout entier inclu dans ce trait noir. En créant tel mouvement plutôt qu'un autre, on exclut progressivement tous les caractères qui n'ont pas ce trait, et à chaque trait ajouté se réduit l'ensemble des possibles jusqu'à ce qu'un caractère unique ait pris possession de l'espace. On exclut même tout autre caractère que son caractère : le tracé est unique, même la maladresse de l'étudiant ne crée pas deux fois la même laideur, comme la maîtrise du calligraphe ne crée jamais deux fois la même beauté. Pour créer, il faut procéder par élimination. On part du tout, on arrive à l'unique...

聖人無常師 - seijin mu jô ji
Le sage n'a pas qu'un seul Maître - nous disent les Chinois. En quoi cela s'applique à un idiot volontaire qui prit le pinceau il y a deux ans et a encore tout à apprendre ? Je n'en sais rien. Une intuition malingre me dit de ne pas m'essayer à la sagesse avant l'heure. J'ai passé les deux dernières semaines à tracer cette formule, comme pour l'intérroger. Le papier ne répond jamais, qu'on se le dise. Comment pourtant ne pas voir le bon sens de ces quelques caractères. Ma seule sagesse consiste pour l'instant à ne pas avoir qu'un seul pinceau - il faut bien commencer quelque part. Ces mots n'ont pas d'auteur, ils tiennent debout tous seuls. A quoi bon savoir qui a dit quoi, quand les mots deviennent réalité par la simple application de n'importe quel pinceau chargé de n'importe quel encre sur n'importe quel papier. A-t-on besoin d'admirer la bouche qui prononça ces mots alors que ce sont ces mots eux-même qui sont admirables. Alors une fois sur mon papier, grâce à mon pinceau, au bout de mon bras, ce sont mes mots. C'est moi l'auteur. C'est écrit sur le papier, c'en est la preuve.