Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

samedi, décembre 06, 2008

Tenchi


天地 tenchi - ciel et terre, le monde
.
Ces derniers mois de travail silencieux m'ont amené à réfléchir sur la nature même de l'acte de calligraphie. Prendre un pinceau et recopier une forme noire sur fond blanc, quand c'est dit comme cela, se réduit à une activité stupide, mécanique et vide de sens. Seulement voila, en calligraphie, on ne recopie rien du tout.
.
Les modèles du professeur n'ont pas pour fonction de sevir de calques. Il est d'ailleurs idiot de se donner la peine de retracer à vue ce que l'on prétendrait dupliquer, il suffirait de mettre le modèdes sous plastique en dessous la feuille, car le papier est assez fin pour voir le modèle par transparence en dessous. Quand bien même s'amuserait-on à se subterfuge, le résultat ne serait en rien la recréation du modèle. Avec le pinceau, tout se voit. Il faut comprendre que la calligraphie est avant tout un moment de vérité.
.
La simple comparaison de modèles des professeurs montre que eux non plus ne tracent pas exactement la même chose à chaque fois, contrairement aux fontes informatiques, aussi calligraphocompatibles soient-elles. L'élève n'a donc aucune raison de faire ce que le professeur ne fait pas non plus. Personne n'a pour ambition de devenir une photocopieuse à pinceau. En regardant les modèles de ma professeure, je vois non pas la forme de ses traits, mais l'esprit de ses tracés. Ce n'est pas "fait ce que je fais" mais "fais comme je fais". Le Maître a trouvé son style, à moi de chercher le mien. Elle cherche encore, moi aussi. Il faut comprendre que la calligraphie est ensuite un processus de recherche intérieure.
.
La pratique régulière de la calligraphie se révèle ardue dans le sens où on est confronté cent fois à l'échec avant de vivre un instant de satisfaction. C'est un investissement en temps, en énergie, en motivation, en concentration, en papier, en obstination, en méditation et en modestie. Incomparable sacrifice dans une petite vie citadine moderne. Il faut comprendre que la calligraphie est aussi faite de poubelles bien pleines.
.
Chacun à son niveau, cependant, la réussite est à la hauteur de la pratique. Dans un cours où la professeure a accepté des élèves de niveaux différents au cours des années, les progrès de chacun sont des couronnes sur mesure. Une fois seul, c'est à moi de retrouver ce moment où l'exercice devient accomplissement. Etrangement, cela n'a vraiment d'intérêt que pour moi, car je suis le seul à me rendre compte de ce qui différencie les exercices que je présente ici des autres. Mais sur la durée, il me semble qu'un lecteur régulier saura reconnaitre mon chemin. C'est là l'intérêt d'un parcours public au fil des ans. Il faut comprendre que la calligraphie est finalement à la fois le but et le moyen d'un chemin unique.
.
Ce que je vous présente sur ce blog, ce n'est pas une version noire de mes modèles rouges. C'est la création comme j'en suis capable à un moment donné. C'est unique, daté et infini. Les Japonais disent qu'on lit le coeur du calligraphe dans ses calligraphies. En regardant le ciel et la terre, je trace 天 ciel et 地 terre avec mon ciel et ma terre. Ce composé, à deux éléments complémentaires, reflète la complétude de l'infini, dehors comme dedans, naturel comme humain : le chemin de la calligraphie.