Au pied de la montagne
Ça m'a pris d'un coup, ce soir. A la lampe de bureau pend le pinceau sec que je n'ai pas touché depuis quatre jours. Il attend, calmement, droit dans sa certitude de ne pas rester abandonné bien longtemps. Je le décroche doucement, juste parce qu'il est là. Je pousse mon ordinateur sur le côté, je sors le feutre noir qui protège la table des taches, les feuilles, le flacon d'encre, le porte pinceau, le poids. En un instant, je suis prêt, sans préméditation. Juste parce que ce pinceau était là, devant moi. Le hasard m'a fait recopier deux poème chinois cette après-midi. Ils traînent encore sur mon bureau juste sous mon coude gauche. Un éclair : je vais les tracer d'un jet.
Les pieds bien plantés sur le plancher, la main gauche à plat sur le papier, le pinceau bien droit, l'air entre lentement dans mes poumons, et à l'instant d'expirer.... je trace. Au bout de la première collone une simple inspiration... et je trace la suite... répétant ce cycle huit fois - les deux poèmes sont tracés. J'ajoute lentement mon nom, sur les deux feuilles.
Je ne sais pas ce qui m'a pris. Se lancer sans se préparer, sans entrer tout d'abord dans la quiétude qui précède l'exercice... quel dilletante je fais. Et pourtant, je sens comme un soulagement. Je viens de vivre un instant de vérité, comme un test. Depuis des mois, je calligraphie par petits morceaux, fragmentairement. Il fallait que je vois ce dont je suis capable.... spontanément. Voir ce que ces exercices ont laissé en moi, passer un test d'aptitude intermédiaire, juste pour voir, pour savoir. Le mouvement était un peu trop rapide, la composition intuitive malgré le quadriage du papier, les traits directs et instinctifs. Voila ce que mon corps a mémorisé de l'incessant recopiage, voila ce qu'il est capable de restituer sur la feuille quand je lui laisse tout contrôle. Ce n'est pas vraiment bon. Il y a pourtant une certaine tenue, comme si la base y était, sans les détails. Une maladresse mignonne, peut-être. Quelques caractères pas mal quand même, d'autres bancals. Mais une unité tout de même, ni bonne ni mauvaise, une sorte d'équilibre entre la naïveté de l'étudiant et un début de chemin parcouru. Ce test me donne l'envie de continuer à patiemment faire mes exercices pour être un peu moins ridicule la prochaine fois, et en même temps, je vois bien que je ne suis plus tout au début. C'est un peu comme si, au pied d'une haute montagne, je me retournais un instant pour regarder s'éloigner le village d'où j'étais parti.
6 Comments:
Ce qui m'émeut, Elie, dans ton blog, c'est ton extrême légèreté, cette impulsion vierge de l'élan de jeunesse conservée et maîtrisée, je dirais même, sublimée...
Je n'ai que la trentaine, même si je parle comme un vieux chnoc ;-)
Wouaw!
Quelle sagesse alors!!!!
Quant à moi, ma trentaine est déjà bien derrière moi...;)
Pour votre quete de l'essence du trait je vous souhaite, Elie, une longue et belle route, a la mesure de la tranquille elegance de vos pas...
Je me sens peser 1ooo quintaux, quand je vous lis. A defaut de talent litteraire ou scriptuaire, j'aurai eu le bonheur de parcourir les sentiers d'une autre montagne : la musique.
N
Musique et calligraphie, c'est pareil. Mêmes "gammes", même pratique sans filet, même entrainement sur le long terme.... en fait, ça me rappelle le temps où je faisais de la musique :-D
moi qui vient de découvrir ce blog, en voici sans nul doute le plus beau billet
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