Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

samedi, juillet 01, 2006

Suzuri

La calligraphie chinoise et japonaise suppose un minimum de matériel. On trouve assez facilement des références sur les quatre trésors du lettré dans la littérature de vulgarisation, concept poético-philosophique qui regroupe le pinceau, l'encre, le papier et surtout la pierre à encre. Appelée 硯 - lire suzuri en japonais, yan en chinois - elle est la plus précieuse en cela qu'il est assez difficile d'en trouver une bonne et que c'est le plus cher de ces trésors. De plus, c'est la seule à durer. On use des tonnes de papier, des charettes de pinceaux, des montagnes de bâtons d'encre... alors qu'une bonne suzuri reste en service plus longtemps qu'une vie. Cela provoque un attachement sentimental chez le calligraphe, car c'est le compagnon d'un long voyage, une amie dont la générosité de tarit jamais.

Une suzuri peut être faite d'à peu près n'importe quel matériau, pourvu que le grain permette de frotter de l'encre afin que le mélange s'oppère avec l'eau. La céramique, la porcelaine, la terre cuite tout aussi bien qu'une série de roches ont pu servir à faire des suzuri dans la longue histoire de l'écriture en Chine et au Japon. Mais il est devenu extrèmement rare de voir une suzuri qui ne serait pas en pierre, car lla pierre a une dimension particulière : non seulement c'est le meilleur matériau pour faire de l'encre, mais c'est le plus résistant à l'emploi et au temps. Le plus important étant le doux équilibre entre les propriétés objectives de la pierre à faire une bonne encre, et un rapport subjectif à sa beauté et sa provenance. Elles existent en toutes sortes de formes, des plus géométriques aux plus irrégulières, et les décorations varient de l'extrème cisèlement à un aspect minéral brut. On utilise deux types de roches : soit les roches éruptives sous-marines, plus résistantes et de meilleure qualité, soit les roches sédimentaires d'origine argileuse, plus friables et de moins bonne qualité. Les meilleures mines sont en Chine. Les mines les plus extraordinaires sont épuisées, ou bien produisent très peu. Les pierres anciennes de qualité supérieure sont donc très recherchées. Au Japon, les meilleurs gisements sont épuisés, mais il y a encore des fillons intéressants. Je possède trois pierres à encre de types différents.

玄晶石 - genshô-seki
Pierre à encre japonaise très courante, elle permet de faire assez repidement de l'encre assez fin. Mais elle absorbe trop l'eau et l'encre sèche trop rapidement, il faut régulièrement diluer et remélanger. Je peux y mettre de l'encre industriel pour mes exercices, sans avoir de regret. C'est cependant ma première pierre.

端渓石 - tankei-seki ronde (en chinois duanxiyan)
Venue de la Province de Guangdong (Canton), au sud de la Chine, les pierres de Duan sont considérées comme les meilleures. Il existe plusieures mines, et toutes les pierres n'ont pas le même aspect ni la même qualité, mais elles sont toutes d'une grande douceur, le grain dur, la couleur violacée ou verdâtre, et font une belle encre. Cette pierre est récente, et reprend la forme ronde traditionnelle dans une version contemporaine épurée. Elle a la particularité d'avoir un oeil vert et quelques petites gouttes vertes sur son fond. Sa couleur tire nettement sur le violet, le vert est clair et régulier. Ce n'est pas une pierre d'une grande valeur et elle est assez courante, mais elle est belle, de bonne qualité, avec des taches vertes qui la singularisent. Elle a été achetée à Taïwan avant de me parvenir, ce dont je suis très heureux. Ses dimensions en font une pierre pour les jours où je suis assez courageux pour frotter assez d'encre pour des exercices au grand pinceau. J'aime ses lignes pures, cette suzuri me fait penser aux précieux bols à thé qui donnent cet autre précieux liquide. L'encre y est comme mis à l'honneur.

端硯 - pierre de Duan (en chinois duanyan, synonyme de duanxiyan)
Elle aussi de 端渓 Duanxi/Tankei, cette pierre à encre traditionnelle illustre bien le délicat équilibre entre la forme naturelle du minéral et le travail de la main de l'homme. Une gravure discrète mais très fine, quelques traces brutes sur les côtés, une ligne latérale qui suit les mouvements naturels de la pierre, le minutieux travail de polissage, la douceur des lignes... cette petite merveille m'a été donnée en cadeau. Ces pierres sont considérées comme les meilleures parmis les quatre célèbres sites : Duan (Guangdong), Cheng (shandong), Tao (Gansu) et She (Anhui). Mais je me demande parfois si je suis bien en mesure d'en apprécier la valeur. Je passe de l'une à l'autre, j'expérimente, je tente des mélanges plus ou moins fluides, je change d'encre, je repasse à l'encre chimique pour gagné du temps... et je ne sais pas encore quoi penser réellement de tout cela. Je sais simplement que j'ai de la chance de pouvoir toucher à ces pierres, d'essayer par moi-même les différentes encres qu'elles produisent, et de lentement me construire mon expérience. Cette pierre de Duan est un cadeau très précieux, témoignage d'une amitié profonde, qui ennoblit ses qualités propres et en font une pierre très chère à mon coeur.