Savoir encore
La journée s'annonçait longue et la paresse me trainait tout juste entre la théière et la tasse. L'appartement est vide, le silence relatif de la ville qui bâille encore un samedi matin mais le soleil est déjà fier. Il n'est pas encore midi dans la chaleur précoce d'un avril estival. En passant devant mon secrétaire, je passe la main doucement sur l'arrête du meuble. Il est neuf. Mon matériel de calligraphie y est rangé depuis hier. Je ne résiste pas et l'ouvre sans y penser. Les pinceaux alignés sur le portique attendent sagement, mais j'entends comme un murmur entre eux. Le feutre, l'eau et la pierre sont déjà prêts. Il me suffit de prendre l'encre, de saisir un pinceau pendu juste devant mes yeux, et tout est là.
Le rituel de l'encre et des traits isolés me plonge dans mes souvenirs noirs et blancs. Je me mets à tracer quelques caractères appris ces derniers mois, retrouvant des gestes qui avait été pourtant si obstinément hésitants alors. Les feuilles se succèdent à un rythme lent mais régulier sous mon pinceau rêveur. Quand une pensée me saisit.
不識 - fushiki, Je sais que je ne sais rien. Les quelques caractères bien enchaînés font écho aux milliers d'autres que je ne saurais même pas esquisser. Je sais me contenter de mes progrès de l'année passée, et de l'espérance de ceux de l'année prochaine. C'est bien peu de simplement savoir se pencher sur sa feuille, mais elle nous montre à chaque tentative de tracé que la certitude est une illusion vaniteuse. Non, jamais je ne saurai comment un simple trait noir peut me bouleverser autant, jamais je n'aurai aucune idée de la nature du calme intérieur qui m'envahit, comme on ignore la nature du néant ou le sens du temps qui nous rend si éphémère... et c'est bien ainsi.
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