Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

dimanche, février 11, 2007

La beauté du vent


花鳥風月 - kachôfûgetsu
Fleurs, oiseux, vent et lune - les quatre beautés de la nature.
La conception chinoise de la beauté ne cesse de me surprendre. Je ne suis pas étonné de voir que les fleurs, les oiseaux et la lune trouvent grâce à leurs yeux, ce sont de bien jolies choses en effet. Mais le vent ?
Comme le montre le mot 風景 fûkei, paysage, le sens de l'espace oriental inclut le vide comme entité à part entière. L'espace entre les éléments du paysage est partie intégrante du paysage, comme le blanc du papier d'une calligraphie. Les essais désormais célèbres de l'académicien François Cheng ont largement contribué à faire connaître l'art de la composition chinoise. Le soucis de composition devient obsédant en calligraphie, car le trait seul ne fait pas le caractère. Trouver cette liberté de mouvement en pleine possession de l'espace pour le faire sien et l'occuper juste assez pour affirmer la présence des caractères sans détruire l'espace. Construire le trait, sans détruire le vide. Tel est le sens de la composition. La nature le fait dans le paysage, le calligraphe s'y efforce sur le papier.

samedi, février 10, 2007

Neige


雪 -Yuki
Je n'aime pas la neige. Elle a le sadisme de tomber lentement, l'inélégance de tremper tout ce qu'elle touche, l'hypocrisie de ne cacher la boue que pour la dégorger au double en fondant, la cruauté de se faire glace sur les chemins piétinés, et la sottise d'exiter les envies de jeux bruyants des petits et de sports idiots des grands. Le très poétique manteau blanc de l'hiver n'est qu'un cache misère qui fige la saleté et la laideur de la décomposition organique. Sa pure blancheur ne dure que le temps d'un matin, pour se faire boue gluante et glaciale qui salit tout à son contact. La neige est un piège dans lequel les naïfs tombent volontiers, à la recherche d'une virginité facile, d'une pureté tombée du ciel.

Le caractère est pourtant d'une élégance à peine asymétrique, presque anthropomorphe et se courbant délicatement en avant pour faire une révérence moqueuse au pinceau qui rend un tel monstre aussi gracieux. On dirait qu'il sait qu'il est beau. Alors comme la neige recouvre la crasse du monde, le trait de mon pinceau se métamorphose en trainée blanche sur un noir de suie.

dimanche, février 04, 2007

Lune


月- tsuki, la lune
Dans la poésie chinoise comme dans les contes japonais, la lune est un personnage à part entière qui éclaire et rappelle le souvenir. Elle est aussi un redoutable exercice de calligraphie. Le débutant découvre assez rapidement que les caractères les plus délicats à tracer ne sont pas forcément les plus complexes à l'oeil. Lorsqu'on a que trois ou quatre traits à répartir dans l'espace blanc du papier, il faut faire preuve de beaucoup de tact pour parvenir à une harmonie équilibrée et dynamique. C'est ainsi que cette semaine, notre exercice de composition cursive se résume à ce petit caractère d'une grande présence malgré son nombre modeste de traits.


Les formes cursives sont très variées, et le modèle donné par mon professeur est très fin, élancé, vif et bien droit dans l'espace. Je trouve cette idée de composition très belle. C'est un peu comme si l'on transposait dans les traits la douceur de la lumière lunaire sans en enlever sa puissance. Le tracé est assez rapide, le touché du pinceau très aérien et les deux traits finaux posés tout en douceur. La première image montre un tracé plutôt sec, car j'avais l'intention de mettre surtout la douceur de la lumière lunaire et le mystère de cet astre en avant. Dans la deuxième image, le trait est plus encré, le trait de gauche fort dans un mouvement puissant, ce qui accentue la présence pénétrante du caractère sur la feuille comme la lune dans un ciel clair. Ces deux réalisations semblent sans doute pratiquement identiques aux yeux qui manquent d'entrainement, mais pour moi, ils sont le reflets de deux moments de calligraphie très différents. Grâce à ce genre d'exercice artistique, je deviens plus conscient de cette finesse et de ce rafinement. L'apprentissage est long, lent, mais régulier. Aussi petit soit le pas, c'est toujours un pas en avant sur le chemin.

A titre de comparaison, le caractère 月en régulière. Il est simple, droit, légèrement asymétrique, tourné de trois-quart comme pour un portrait moderne. Il existe de nombreux modèles un peu différents et je mélange les styles de mes deux professeurs pour arriver à ce résultat-là. J'ai gardé l'angle fort et protubérant de l'école kampô, mais en reprenant l'attaque souple directe de mon professeur actuel. Les petits traits du milieu sont assez haut, comme l'a fait la prof lors de la scéance, mais j'ai gardé la légère différence de réalisation que j'avais appris à Amsterdam lors de mes premiers cours. Visiblement, même techniquement, j'évolue, je me forme, j'apprends.