Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

mercredi, mai 31, 2006

Cursif


Les poissons jouent au fond de l'eau. Si si, je vous jure, c'est bien 魚遊水底涼 - évidemment, en japonais normal, les gens disent 魚が涼しそうな水の底で遊んでいる - Uo ga suzushisôna mizu no soko de asonde iru - mais en s'inspirant du chinois, ça donne une formule racourcie en cinq caractères. Et en calligraphiant en cursif, on arondit les formes et on suggère les combinaisons de traits en un mouvement souple... et on ne peut guère le faire qu'à l'aide des nombreux Maîtres calligraphes qui au cours de l'histoire ont defini ces formes et nous ont laissé des modèles à étudier. Il y a une certaine liberté artistique, évidemment, mais qui suis-je pour déjà penser à créer des formes que je connais à peine. Interpréter les modèles que l'école Kampô me fournit me suffit.

En fait, c'est justement après une visite au centre de calligraphie Kampô de Bruxelles hier que l'envie m'a pris de m'exercer un peu au style cursif. J'y ai reçu une leçon, j'ai donné mes exercices de mai, et la prof m'a encouragé à passer à l'apprentissage du cursif. A la japonaise, évidemment, pas en me demandant mon avis. Elle me montrait un détail technique de style courant gyôsho et passa sans transition au modèle de cursif pour juin. Du coup, je l'ai suivi dans son élan. J'ai découvert par la même occasion que l'encre que j'utilise manque de fluidité, ce qui ne m'aidait jusque là pas à réussir de beaux traits fluides et forts en courante ou en cursive. Pour une fois que je peux évoquer une vraie raison technique pour me trouver des raisons au maladroit résultat de mes exercices, j'en profite un peu... mais je promets ne pas abuser trop longtemps de cette mauvaise foi. Une fois rentré, la curiosité de voir ce que je pouvais faire après cette leçon m'a poussé à l'action. J'ai jeté pas mal de feuilles, bien-sûr, mais je mets une version ici tout de même, comme une borne sur le chemin. On verra dans quelques semaines quels défauts mon regard y découvrira. Il sera alors temps de tenter de les corriger. Chaque chose en son temps.

vendredi, mai 26, 2006

Composition


Sous le pied de la lampe, il fait sombre. Un vrai proverbe chinois, pas une parodie... sans doute pour dire que le plus intelligent des hommes n'est jamais assez intelligent pour ne pas être ignorant sur certaines choses. Bref, on n'est jamais aussi sage ni aussi intelligent qu'on le croit. J'ajouterais tout de même qu'un sage qui éclaire son chemin s'accomode très bien de l'ombre sous ses pieds pour avancer... la morale de l'histoire est à mon avis autant de ne pas se faire plus bête qu'on est non plus.

Mais si j'ai repris mon papier chinois à petits carreaux, c'est pour travailler la composition. Mot récurent quand on pratique la calligraphie, car on entend les professeurs le répéter tout le temps sans comprendre où ils veulent en venir pendant des mois, jusqu'à vivre une sorte de révélation. Le débutant se concentre sur le trait, pour le faire bien droit, bien régulier, avec la bonne épaisseur, la bonne attaque, le bon stop. Et puis le "plus tout à fait débutant" se rend compte que les traits qu'il s'applique si patienmment à tracer ne sont pas isolés, ils se combinent pour faire des caractères. Cela est facile à comprendre intellectuellement, mais avec un pinceau dans les mains, c'est plusdifficile qu'il n'y paraît. Il faut aussi apprendre à tracer des élements à la bonne taille, bien placés les uns par rapport aux autres, afin d'obtenir un caractère équilibré. Le fameux équilibre. En anglais international, les admirateurs de calligraphie répètent à longueur d'expositions dans les galleries : "good balance!, good balance!". Si un Japonais qui scrute vos essais de calligraphie s'esclame des compliements exagérés, il est juste poli. Si par contre il dit la formule magique "good balance!", alors là, vous savez que vous ne faites pas que du n'importe quoi.

Les règles ont l'air simples, mais c'est comme tout, la pratique se révèle plus compliquée. Le principe général est d'éviter toute symétrie parfaite. Si Versailles était une calligraphie, elle serait très moche. Pas facile à avaler pour un Français... A partir de là, il faut savoir identifier quel élément doit être plus petit que son voisin dans un caractère. En général, l'élément de gauche est plus petit que celui de droite, comme le premier caractère (en haute à droite). Celui du dessus est plus petit que celui du bas, comme le 是, sauf si on peut faire une forme générale en losange, comme le台. Un caractère à peu de traits ne doit pas être trop maigre en comparaison des caratères plus complexes qui l'entourent, comme le下. Les traits à l'intérieur d'autres traits sont plus fins que les traits de l'extérieur, comme le面. Une forme générale plus large en bas et un mouvement vers la droite est considéré comme plus harmonieux, comme le 黒. J'essaie d'intérioriser ces principes, et cet essai n'est surement pas à considérer comme un modèle, c'est au mieux une illustration de mes essais de penser la composition pour que mes exercices futurs ne soient pas simplement de jolis traits, mais de belles formes. Il va falloir encore du temps avant de faire des calligraphies bien composées, mais au moins, j'ai pris conscience de cette question, c'est déjà ça.

jeudi, mai 25, 2006

Gyôsho

Ceci est un simple caractère: 堂 - dô - qui signifie un grand hall ou un grand batiment, notamment les grandes salles de méditation des temples bouddhistes, voire même le temple lui-même, mais on le retrouve aussi dans des mots plus quotidiens. Etymologiquement, c'est à dire en regardant l'histoire et la formation du caractère en chinois, il est composé d'un élement phonétique 尚 prononcé (entre autre) dang4 et d'un élément sémantique 土 dans le sens de terre, et le caractère se prononce donc tang2. Mais ça, c'est du chinois. En japonais, après des siècles d'évolutions phonétiques et d'approximations dans la prononciation des emprunts au chinois, il n'y a plus aucun rapport entre l'élément phonétique qui aidait à l'origine les Chinois à le prononcer. Le temps rend les caractères de plus en plus mystérieux, de plus en plus magiques.

En regardant bien la façon dont je l'ai tracé, et en comparant à la forme d'imprimerie , on comprend qu'en chinois et en japonais, tout est dans le pinceau. L'écriture a été inventée au pinceau, pour lui et avec lui. Les formes sont faites à sa mesure, selon ses règles. Le pinceau est indétrônable, la calligraphie est l'origine même de l'écriture. Indissociables du pinceau, les caractèresportent en eux son corps et son esprit. L'apprenti calligraphe a pour tâche de faire vivre cette symbiose. C'est pourquoi il arrive un moment dans l'apprentissage où l'on passe au style courant, ou gyôsho en japonais. Comme ce 堂 à qui mon pinceau a tenté de rendre tous les mouvements de sa forme. Il faut simplement alier la lisibilité à l'expression de l'énergie intrinsèque du caractère. La chorégraphie du pinceau est visible, pour révéler le souffle porteur de création. C'est une façon différente de tracer, plus intime que la régulière aux lignes anguleuses et strictes. S'essayer à la courante gyôsho, c'est s'approcher un peu plus de l'essence de la calligraphie chinoise et japonaise. Et l'on apprend que la beauté est un mouvement : le geste du calligraphe.

lundi, mai 22, 2006

Exercices


麦畑草笛 - Dans les champs de blé, l'herbe devient autant de flûtes

Par cette traduction très libre et un peu téméraire, je commets peut-être un contre-sens. Je me suis adressé à des spécialistes et j'attends la confirmation et la correction. Scène bucolique au premier abord, j'y vois une observation profonde de la nature du monde. Il y a une énergie esthétique dans la nature, que l'homme peut apprendre à reconnaître. Cette feuille n'est qu'un excercice préparatoire au cours de calligraphie de cette semaine. Je me suis, en effet, rendu compte, au fil de mes mois d'apprentissage, qu'il est judicieux de se préparer à chaque cours. En arrivant avec quelques feuilles d'essais maladroits, on va tout de suis à l'essentiel lors du cours. Celui-ci s'inscrit dans une continuité, il est logique. Venir sans même trop savoir quels caractères sont au programme serait dévaluer le cours à un rendez-vous incongru. Ce n'est pas en rencontrant la prof au hasard du calandrier qu'on tisse une relation constructive d'apprentissage. La calligraphie fait partie de ces passes temps qui demandent un engagement honnète car c'est un chemin, s'opposant en cela aux divertissements dont nous sommes si friants en consommateurs bien dressés que nous sommes. En tant que prof de langues, je dis la même chose à mes élèves. La moindre des choses est de pratiquer ce que je prêche.

瑞気満高堂 - Formule dont le sens m'échappe en partie, mais je crois comprendre qu'elle veut nous rappeler que c'est chez soi qu'on est le plus heureux. En attendant de trouver la traduction exacte, je vais m'attacher à la forme. Cet essai est en effet très mauvais. Il y a certes un certain mouvement dans le trait, mais la main n'est visiblement pas assurée, et la compositions est hésitante. Les caractères de la colonne de gauche sont trop petits, ainsi que la clef du premier caractère. La forme générale de 気 est trop carrée. Sur le modèle de l'ecole kampô, il est plus alongé, plus fin, avec une base plus ferme. Bref, pour celui-là, il va vraiment falloir que je travaille cette semaine. La fin du moi approche, il faut que j'envoie les versions définitives en fin de semaine pour la correction au Japon. Je n'ai pas encore reçu la première correction, je ne sais donc pas à quel niveau ils m'ont classé. En tout cas, si j'envoie cet essai, je suis assuré d'une place dans le groupe des grands débutants. Je vais quand même essayer de faire mieux. Je poste cette image pour montrer à tous ceux qui pratiqueraient un art qu'il faut savoir prendre un peu de distance et rester critique. Il faut se laisser le temps, savoir rire des horreurs que l'on produit tout au long de son parcours et y puiser le courage de faire un peu mieux la prochaine fois. Ce n'est pas gagné d'avance, et c'est justement cela qui importe.

mercredi, mai 17, 2006

Exception


例外正证实了规律
L'exception confirme la règle.

Encore un proverbe sans grand intérêt sémantique. Mais la diversité des caractères qui le compose m'attire. Je les étire toujours un peu, mais ils ne sont pas trop trapus. C'est du chinois simplifié, mais sans énorme différence avec le traditionnel. Les quelques traits gagnés sont autant de vide à modeler soigneusement par les traits restants. En fait, cela peut s'avérer plus difficile qu'un carré bien rempli où il y a juste la place pour tous les traits. La responsabilité de la composition du caractère est d'autant plus grande que les traits sont peu nombreux. Le blanc, le vide... les formes qui se détachent sur le fond sont des silhouettes qu'il faut savoir rendre douces et équilibrées. Ce que l'on ne trace pas, voila le but de la calligraphie au même titre que ce que l'on trace.

Je suis allé un peu vite, l'épaisseur des traits n'est pas assez contrôlée, mais je ne suis pas si mécontent. Je répète sûrement des erreurs que je ne vois même pas, mais je montrerai ces dernières chinoiseries à ma prof, elle me dira où j'aurais dû faire plus attention. Elle a la délicieuse manie de dire qu'un caractère est difficile quand je le trace mal. Elle me donne l'impression que ce n'est jamais de ma faute si mon exercice est médiocre, elle blâme toujours la nécessité de s'exercer longuement. Ainsi, elle dit que ce que je fais n'est pas si mal compte tenu de l'effort, et que ce n'est laid que dans l'absolu. Drôle de façon de mêler la critique et la compassion.

mardi, mai 16, 2006

Borgne

盲人国里,独眼称王。
Au pays des aveugles, les borgnes sont rois.

Qu'il s'agisse d'un proverbe original chinois ou d'une simple traduction du dicton occidental, le hasard a voulu que je tombe sur cette formule dans un forum. Ironie. Justement sur un forum, où on passe son temps à parler de tout et de rien, de ce que l'on connait, de ce que l'on pense connaitre, de ce que l'on prétend connaitre et de ce auquel on ne connait pas grand chose. Des groupes se forment pour échanger des idées, du moins le croit-on. Mais que fait-on, en fait, si ce n'est jouer à celui qui sait. Un peu, beaucoup, peu importe. Dès qu'on sait, on l'affiche et notre maigre savoir se mirroite dans l'écran que l'on contemple, fier d'avoir apporté sa contribution à quelque discussion. N'est-ce pas cependant vaniteux d'avoir le monde entier au bout de la souris, comme s'il n'attendait que notre petite contribution quotidienne? Ne suis-je pas le roi des borgnes en faisant exposition de mes pauvres exercices qui doivent faire rire la moitié de la Chine et les deux-tiers du Japon?

Nous jouons aux borgnes tous les jours. Je suis prof, pas prix Nobel de littérature, et pourtant, je dis à des aveugles de la grammaire et du style comment écrire et parler à longueur de journée. Malgré cela, à savoir que je ne suis qu'un borgne, je sais que je peux les guider pour faire quelques pas qu'ils ne feraient pas sans moi. Je ne suis peut-être pas complètement aveugle en calligraphie, mais je sais que je n'ai pas les deux yeux grands ouverts des Maîtres. Je ne prétends pas le contraire. Comme le jeune musicien studieux n'avait pas à rougir devant les prouesses d'un Mozart du même âge, je n'ai pas à cacher mes exercices de calligraphie sous prétexte qu'il y en a de mille fois plus beaux ailleurs. Je laisse les Mozarts accomplir leurs chefs d'oeuvre et je pense à eux en faisant mes gammes. Il y a une place pour toute chose, même pour les borgnes.

vendredi, mai 12, 2006

Reculer d'un pas...

在矛盾面前退一歩海闊天空 Face aux contradictions, reculez d'un pas et l'immensité du ciel et de la mer s'offre à vous.

Je revenais d'une leçon de calligraphie. Un jour sans. Le pinceau était mystérieusement plus lourd et plus poisseux que d'ordinaire. Je ne le reconnaissais pas. Ou bien était-ce lui qui ne me reconnaissait pas ? La main pataude se déliait un peu au fur et à mesure que je gaspillais les feuilles de papier. La prof était trop polie pour me faire une remarque, elle se contentait de tracer et retracer les modèles pour que je ne perdisse pas courage. Son geste doux et posé finit sans doute par me rassurer, car le calme se fit en moi malgré la honte à peine dissimulée des mauvais jours. En une bonne heure, je parvins à peine à tracer quatre caractères bien proportionnés, mais avec des traits sales, mal finis, mal contrôlés.

Pourtant, il n'y a pas de honte à bafouiller du pinceau. De retour chez moi, je me mis à en rire. Je retrouvai un petit morceau de papier sur lequel j'avais écrit une maxime chinoise au stylo et qui me servait de marque page dans le livre que je trainais toujours avec moi dans les transports en communs. Face aux contradictions, reculez d'un pas et l'immensité du ciel et de la mer s'offre à vous.

Alors je pris mes feuilles quadriées à la chinoise, mon pinceau en poils de loup, le modeste modèle sous les yeux... et je traçai. J'en fis quelques pages. Tranquillement. Serainement. Face à la contradiction de ma contre-performence du jour malgré mes exercices réguliers, je reculai d'un pas avec mon pinceau : l'immensité du ciel blanc de la feuille et de la mer noire de l'encre s'offrit à moi. Je me lovai dans le silence de la nuit, je traçai lentement les caractères dans l'ordre, et la sérénité me revint. A celui qui patiemment travaille, il n'y a pas d'échec.

mardi, mai 09, 2006

Au pied de la montagne


Ça m'a pris d'un coup, ce soir. A la lampe de bureau pend le pinceau sec que je n'ai pas touché depuis quatre jours. Il attend, calmement, droit dans sa certitude de ne pas rester abandonné bien longtemps. Je le décroche doucement, juste parce qu'il est là. Je pousse mon ordinateur sur le côté, je sors le feutre noir qui protège la table des taches, les feuilles, le flacon d'encre, le porte pinceau, le poids. En un instant, je suis prêt, sans préméditation. Juste parce que ce pinceau était là, devant moi. Le hasard m'a fait recopier deux poème chinois cette après-midi. Ils traînent encore sur mon bureau juste sous mon coude gauche. Un éclair : je vais les tracer d'un jet.

Les pieds bien plantés sur le plancher, la main gauche à plat sur le papier, le pinceau bien droit, l'air entre lentement dans mes poumons, et à l'instant d'expirer.... je trace. Au bout de la première collone une simple inspiration... et je trace la suite... répétant ce cycle huit fois - les deux poèmes sont tracés. J'ajoute lentement mon nom, sur les deux feuilles.

Je ne sais pas ce qui m'a pris. Se lancer sans se préparer, sans entrer tout d'abord dans la quiétude qui précède l'exercice... quel dilletante je fais. Et pourtant, je sens comme un soulagement. Je viens de vivre un instant de vérité, comme un test. Depuis des mois, je calligraphie par petits morceaux, fragmentairement. Il fallait que je vois ce dont je suis capable.... spontanément. Voir ce que ces exercices ont laissé en moi, passer un test d'aptitude intermédiaire, juste pour voir, pour savoir. Le mouvement était un peu trop rapide, la composition intuitive malgré le quadriage du papier, les traits directs et instinctifs. Voila ce que mon corps a mémorisé de l'incessant recopiage, voila ce qu'il est capable de restituer sur la feuille quand je lui laisse tout contrôle. Ce n'est pas vraiment bon. Il y a pourtant une certaine tenue, comme si la base y était, sans les détails. Une maladresse mignonne, peut-être. Quelques caractères pas mal quand même, d'autres bancals. Mais une unité tout de même, ni bonne ni mauvaise, une sorte d'équilibre entre la naïveté de l'étudiant et un début de chemin parcouru. Ce test me donne l'envie de continuer à patiemment faire mes exercices pour être un peu moins ridicule la prochaine fois, et en même temps, je vois bien que je ne suis plus tout au début. C'est un peu comme si, au pied d'une haute montagne, je me retournais un instant pour regarder s'éloigner le village d'où j'étais parti.

jeudi, mai 04, 2006

Simplifié


Voici un nom chinois - 杜文丽. Il me semble que tout caractère est susceptible de devenir un prénom si les parents le décident. Je n'ai jamais vraiment compris la technique de choix, mais pour avoir demandé à des spécialistes sinophilo-sinophones, je n'ai pas de complexe à avoir car malgré leurs éclaircissements, je les soupçonne de ne pas tout saisir non plus. En tout cas, aucune version de nom occidental phonétiquement transcrit en caractères chinois n'aura jamais cette poésie, cette légèreté et cet équilibre. Il n'est de nom chinois que de nom en chinois.
http://www.lechinatown.com/index.php?showtopic=3378

Il est intéressant de noter que le troisième caractère est ici sous sa forme simplifiée. Beauté : 丽 ou 麗. Le simplié est la partie supérieure du traditionnel. Un vrai calligraphe aurait peut-être tracé un trait long en partie supérieure, mais je trouve qu'un trait court ajoute à la légèreté de l'ensemble. Une drôle d'entreprise, à vrai dire : passer des siècles à faire évoluer l'écriture, créer et adapter pour atteindre tout ce qu'il y a à atteindre, et soudain : bon coup de balais ! Quand on a des caractères à 20 ou 30 traints, l'envie de simplifier est un sentiment humain, il faut bien l'avouer.

Dans le cas de 丽, les références étymolgiques indiquent des variantes du simplifié en sigillaire, comme si une forme simple avait côtoyé une forme plus élaborée depuis des siècles. Quant à savoir si le caractère plus complexe était considéré comme sémantiquement plus clair par le jeu de sa composition ou s'il doit son succès à d'autres facteurs, je suis bien incapable de le dire. Toujours est-il que les simplificateurs de la Chine continentale se sont souvent donné la peine de plonger dans leur histoire pour mener à bien leur entreprise à vocation moderniste. Ce n'est sans doute pas le cas pour tous les caractères simplifiés, mais saluons au moins la conscience culturelle quand elle s'illustre. D'ailleurs, suite à la découverte de ces éléments d'histoire culturelle, j'ai un peu changé de vue sur la simplification. Trouver dans l'histoire des caractères les éléments de modernisation, voila une attitude plus profonde que les apparances pourraient faire croire.

En calligraphie, la simplification fait partie intégrante de l'acte artistique de création. Les styles cursifs lient les traits en un seul souffle créateur et les formes se fondent dans la suggestion de l'ordre normatif de la régulière. Mais sans référence, la forme artistique serait arbitraire en plus d'être abstraite. Or, les caractères sont des manifestations graphiques d'une langue réelle, qui est un bien commun sur lequel l'individu n'a pas droit de vie ou de mort. Ainsi, la simplification n'enlève rien à l'essence linguistique des caractères et ne les éloignent pas de l'acte créateur du calligraphe. Rien ne se pert, malgré la réelle transformation des formes.

lundi, mai 01, 2006

Paix


安心 - anshin
La paix de l'esprit. Concept bouddhiste, il s'agit de la sérénité que l'on atteind par la médiation. Pas la relaxation anti-stress... la paix spirituelle. La calligraphie demande de la concentration, une attention patiente et paisible qui vient de l'intérieur et s'expériorise par l'entremise du pinceau. L'apaisement 安 du coeur 心 désigne la plénitude de tout notre intérieur, aussi bien psychologique que spirituel. C'est un peu trop demander à la calligraphie que d'amener le calligraphe tout droit à l'illumination, mais elle est un moyen de fixer son attention sur le corps, la respiration, l'énergie intérieure, la concentration de l'esprit, comme une aide à la méditation.

La mode du zen en occident nous a apporté son lot d'approximations philosophiques. Le désir de trouver le calme, de se réfugier dans une certaine sérénité pour se reposer de la vie moderne, cela se comprend. Mais de là à le faire passer pour une quête spirituelle... Il y a des centaines de sites internet sur les merveilleuses révélations de bouddha et autres bones paroles vraies de vraies. Dans ce supermarché de la cyberspiritualité, j'ai surtout été frappé par le discours pseudo-évangéliste de nombreux groupes qui se réclament du bouddhisme. Il y a des mélanges qui laissent un goût acide, comme les gourous autoproclamés qui claironnent sans rire que grâce à Bouddha, l'âme des occidentaux va pouvoir trouver la paix ultime. Ça sonne bien, mais c'est du discours chrétien pur jus. Pour le bouddhisme, l'homme n'a pas d'âme. Il y a le corps, l'esprit, la conscience (parfois plusieurs niveaux), la connaissance de cette conscience, quelques concepts annexes selon les écoles... mais pas de principe vivant éternel qu'on pourrait appeler âme.

Un bouddhiste qui meurt disparait vraiment pour de bon, il ne reste rien, mais alors rien du tout, pas même un petit bout de souffle d'être. Car il y a contradiction totale entre le concept d'âme chrétienne et celui d'impermanence bouddhique. L'âme est le divin insufflé en l'homme pour lui donner la vie en communion avec Dieu(d'un point de vue chrétien), ce qui fait de la vie un concept éternel qui ne disparaît jamais. L'impermanence bouddhique nous dit que tout est périssable au sens propre du terme, que tout apparaît et disparaît totalement, y compris le monde, l'univers, les idées, les personnes, les choses, les éléments de la nature : tout. Un individu n'est qu'un aggrégat d'éléments qui se désaggrègent. Ce qui lie tout cela, c'est le néant. Tout vient du néant, tout retourne au néant, et la seule universalité qui soit est le non-être. Il n'y a pas d'Être pour un bouddhiste. Rien ne reste pour toujours. Alors n'allons pas chercher une "âme" éternelle là où il n'y a que le néant. Quand il n'y a rien, il n'y à rien à y trouver non plus. Le néant est un ensemble de potentialités d'où origine toute vie et où tout revient, c'est tout. Forcément, ça met un coup à notre ego, qui n'est, d'un point de vue bouddhique, qu'une illusion que nous entretenons parmis tant d'autres, et qui a inventé les âmes pour pronlonger l'illusion pour l'éternité. Le bouddhisme ne joue pas à ce jeu-là. Il faut croire que certains cyber-bouddhistes ont du mal à se détacher de leur cher ego, et s'arrangent avec Bouddha, un chic type qui ne menace personne de l'enfer.

On trouve vraiment du n'importe quoi sur internet. La preuve : certains diront que c'est moi, qui dit n'importe quoi...