Polyglossie

Calligraphie chinoise et japonaise - Humeurs d'un polyglotte

dimanche, avril 30, 2006

Pensées d'une nuit calme


静夜思 李白 Pensées d'une nuit calme de Li Bai.

床前明月光, 疑是地上霜;
举头望明月,低头思故乡。

Les rayons de la lune tapissent le pied de mon lit,
Me faisant croire que le givre est tombé ;
Je lève ma tête pour contempler la brillante lune,
Tête baissée, mes pensées vont à mon pays natal.

Pas évident d'aborder la poésie chinoise. Ces caractères alignés me fascinent pourtant. Je les ai couchés sur le papier, pour voir. Ce n'est pas une calligraphie réellement bonne, mais il fallait absolument que j'apprivoise ces caractères. Faire le lent mouvement pour les tracer trait par trait les a fait miens. Lenteur maladroite, une certaine tenue peut-être, un exercice tout de même. C'est cela qui compte. Depuis des siècles, les moines bouddhistes copient inlassablement des soutras dans une paisible concentration. Moi qui me contente de ces quelques lignes, je prends pour la première fois la mesure de ces patients millénaires laborieux qui nous ont laissé tant de manuscripts.

En fait, en lisant la traduction, ce poème m'a laissé un goût étrange. Une histoire de lune, souvent symbole de la famille en Chine d'après mes sources, la mélancolie d'un pays natal qui m'évoque plus des heures d'étude des poètes romantiques au lycée que ma patrie qui ne me fait plus aucun effet depuis longtemps. Et cependant, j'ai beau ne jamais avoir eu le mal du pays mais son contraire, la nostalgie du départ que les Allemands nomment Fernweh, ces rayons de lune m'appellent. Jamais je ne comprendrai la nostalgie de Li Bai, mais elle anime la mienne, aussi différente soit-elle. L'allemand a les mots pour le dire : le Heimweh de Li Bai est le mirroir de mon Fernweh. Nos nostalgies inversées n'existent pas l'une sans l'autre, elles se suggèrent mutuellement.

Heimweh : la nostalgie de chez soi ;
Fernweh : la nostalige de l'ailleurs.

samedi, avril 29, 2006

Mon nom en japonais

Le boulet : Comment on traduit Jennifer en japonais?
Le Elie : ben.... Jennifer.

Loin de moi la tentation d'ironiser sur la santé mentale des gens selon leur couleur de cheveux, car les boulets aussi peuvent se colorer le scalp. C'est donc en parfait observateur neutre que nous allons nous pencher sur le cas du boulet qui adoooooooore le Japon. Peut importe qu'il ou elle veuille traduire (sic!) le prénom Jennifer pour sa copine, sa soeur ou parce que c'est son nom à elle, le fait est que le boulet est persuadé que les noms se traduisent. Son idée fixe : avoir son nom en japonais.

Prenant le risque de provoquer des lésions cérébrales irréversibles dans la noisette du boulet, je rappelle que nous parlons ici de noms propres... (grand silence)... Vu qu'on vient de perdre les boulets qui se demandent en boucle ce que la propreté a à faire avec Jennifer, on peut passer à la vitesse supérieure : le nom propre a la particularité d'être attribué individuellement à une personne afin d'établir son identité civile une bonne fois pour toute. Le nom que l'on porte est à soi, il est unique et monomorphe. Ça marche avec les personnes et avec les lieux. Un nom est un nom, point final. Et je peux le prouver ! Le même boulet jenniferophile avoue fièrement vouloir devenir mangaka (ou pire, prof de français) à Tokyo - or, je lui pose la question : comment dit-on Tokyo en français ? Tant que les boulets continueront à me répondre Tokyo et pas Capitale-de-l'Est, Jennifer restera Jennifer. Les boulets étant maintenant KO par surchauffe neuronale, on peut faire dans la nuance. Ce qu'il est possible de faire avec un nom, c'est le transcrire en japonais. D'ailleurs, les Japonais y ont pensé. Les Chinois, Coréens et Vietnamiens peuvent garder leurs caractères chinois s'ils les connaissent, mais les autres doivent trouver leur bonheur dans le tableau des katakana. Même les boulets.

Mais les plus expérimentés en choses japonaises vont rétorquer que leurs quinze ex-petites amies japonaises ont toutes, sans exception, cherché de charmants kanji pour leur nom... Ben oui, les kanji, ça se prononce aussi, ce n'est pas uniquement ornemental. Votre nom reste cependant votre nom, Jennifer ou autre, et les katakana le transcrivent en japonais histoire de se plier aux usages locaux - mais tout le monde a la liberté de s'amuser à trouver des kanji qui correspondent pas trop mal à la phonétique. Ceci ne fait pas de vous un Japonais, et votre nom n'a pas changé non plus, vous vous attribuez simplement un pseudonyme graphique en kanji, et vous êtes parfaitement libre de le faire. C'est même un passe-temps assez populaire auprès des Japonais qui côtoient des occidentaux. Ce pseudonyme graphique ne représente rien pour l'état civil, mais il n'y a pas que les juges dans la vie. C'est pourquoi je vous fait part de mon pseudonyme graphique. Au bout de quelques mois de cours, ma prof de calligraphie me demande si je suis arrivé à trouver des kanji pour mon nom. J'avoue que l'idée m'avait effleuré, et j'avais reçu l'aide précieuse d'une amie japonaise qui trouvait aussi ce jeu amusant. Après un peu de réflexion, tout le monde est tombé d'accord sur un choix pas trop mauvais. La combinaison 泰津 n'existe a priori pas en japonais, et on peut l'interpréter comme "Havre de Paix" - mais c'est juste le sens que moi, je lui donne, à partir du sens principal "paisible" de 泰 et "crique marine" de 津. Lors de mon inscription au programme par correspondance de l'école Kampô, la prof m'explique qu'il faut mettre mon nom dans la marge à gauche. Humblement, je lui demande comment l'écrire, et elle répond spontanément : "en kanji, c'est plus joli". Elle a très bien résumé la situation : un nom occidental en kanji, c'est juste pour faire joli.

mardi, avril 25, 2006

De l'eau

Il m'arrive de me vanter d'avoir tué un cactus. Je devrais avoir honte, je sais. Suite à cet exploi, j'ai assez de bon sens pour ne pas m'approcher des plantes vertes, on n'est jamais trop prudent. Certains disent que j'ai trop donné d'eau à mon cactus, d'autres que je l'ai au contraire asséché, et d'autres encore que l'arrosage était à contre-saison. Ces débats d'experts autour de feu mon cactus m'ont plié de rire. Le plus sérieusement du monde, une simple tige épineuse faisait l'objet de savantes dissertations comme à un grand oral de thèse sur les plus précieux bonsaï. Quoi que...

La légèreté avec laquelle je traite le règne végétal cache une profonde admiration pour cette rencunière verdure. Mon goût de l'esthétique minimaliste m'ayant amené jusqu'au Japon, je dois avouer ma totale incrédulité devant les sculptures végétales qui s'exposent dans le moindre pot et au moindre coin de jardin. Apprivoiser la plante au point qu'elle vous survive et l'arbre au point qu'il se love dans un minuscule pot - voila qui dépasse mon entendement. Et pourtant, les arbres miniatures m'attirent comme autant d'oeuvres d'art. Je les observe, les scrute, les intérroge sans jamais approcher leur secret. Jusqu'à ce que je commence la calligraphie.

Devant soi, la feuille blanche. D'abord le statique bien planté d'un trait vertical, puis la dynamique d'une horizontale légèrement oblique et doucement courbée. Deux traits souples de part et d'autre, avec une sensible asymétrie qui développe la partie droite et inscrit le caractère dans une perspective brumeuse sans point de fuite. Et la révélation : un arbre 木. Un vrai arbre. Noir sur blanc, tout ce qui fait que l'arbre est arbre : la matière de l'encre, l'air en blanc sur le papier, la tridimentionalité de la composition, et surtout... l'eau. Dans un même élan, à nouveau un trait vertical fort et fier qui concentre l'énergie pour la faire rayonner, alors le pinceau glisse à gauche dans une fluidité liquide et brusque, se pose fermement et décharge de son énergie dans un unique va-et-vient puissant, la force du fluide se transpose alors à droite où tout coule inexorablement vers sa fin tranquile, quand l'eau enfin apaisée s'infiltre délicatement au plus profond de la terre dans un délicat murmure : l'eau 水. Les mêmes éléments végétaux que l'arbre, le fluide de la vie en plus, la force et l'apaisement, le minéral de sa brutalité et la douceur de sa fin organique. Magritte a tort : ceci est l'eau.

Regardez bien ce bonsaï, il a la même composition, le même équilibre asymétrique, la même assise puissante dans la terre, la même fluidité dans l'air, la même énergie forte et apaisée. La nature entière dans un pot comme sur le rectangle de papier.

lundi, avril 24, 2006

Exercices

Les exercices du mois d'avril sont envoyés. Le dernier trait de 里 est un peu trop court... le caractère n'est pas posé sur une base stable. En même temps, c'est assez dynamique comme petite asymétrie. Enfin, l'essentiel est que les caractères soient de la même taille. Avec un 風 qui remplit bien sont carré réglementaire juste à côté, pas évident d'équilibrer la composition. Grâces aux lignes du papier d'exercice, les caractères sont centrés, c'est déjà ça. J'aime bien les formes un peu allongées en hauteur. La prof me dit que ça me ressemble: je suis grand alors mes caractères aussi. C'est simple comme explication, mais s'il y avait du vrai?





筆硯錬磨心 - ikken renma shin
Le pinceau et l'encrier, l'esprit du perfectionnement. Un pinceau et de l'encre sont en effet un terrible moyen de se perfectionner. La calligraphie a une incroyable prétention : celle de rendre les hommes meilleurs. En fait, c'est surtout le fait de tenir ses engagements qui rend les hommes meilleurs, et je me contente de me constituer une archive de promesses à tenir. Le papier fixe un moment de vérité, que jamais je ne pourrai contester. Regarder ces morceaux de vérité en face, et assumer. Voila ce que demande la calligraphie. Ce n'est pas toujours bon pour l'égo, et pourtant, c'est ce même égo qui implore l'indulgence du papier, pour que de temps en temps, je puisse reconnaitre noir sur blanc un indice qui me permettrait de dire : aujourd'hui, je suis un homme un peu meilleur qu'hier, mais moins bon que demain.

dimanche, avril 23, 2006

Kampô






La Japan Calligraphy Education Federation, par Maître Harada Kampô 原田観峰 interposé, a créé une branche outre-mer à New York, et une à Bruxelles. Je suis allé leur rendre visite à Bruxelles hier. http://www.kampo.co.jp/english/ny-and-br-E/br.html

Okemoto-sensei, ma prof de calligraphie, les connait depuis longtemps. Cette école propose une formation par correspondance. Une fois par mois, on reçoit un "texte", les modèles que l'on doit étudier. Chaque étudiant envoie jusqu'à deux feuilles pour correction. Les professeurs au Japon mettent du rouge de partout et renvoie le tout au pauvre étudiant. L'avantage, c'est que c'est une école reconnue, et l'on reçoit un jugement officiel de son niveau. On compte en kyû 級 et il faut des années pour arriver à un niveau enviable. Quoique... le but n'est pas de créer l'envie, mais plutôt de se former soi-même. La correction des professeurs japonais sert de mirroir de vérité.

千里同風 - sen ri dô fû
Pour les nouveaux, le texte en régulière pour le premier mois est "Mille villages, le même vent". Cela signifie simplement "la paix règne dans le monde". Je ne pense pas avoir à rougir de mes exercices pour l'instant. Mais il faut que je fasse encore la version finale que je dois envoyer au plus tard en début de semaine prochaine.
La prof de Bruxelles, Machida-sensei, est d'une grande patience, choisit ses mots avec soin. On sent l'expérience d'enseigner à des occidentaux. Avec son air faussement servil, sa vraie gentillesse et son tracé assuré, elle m'inspire confiance. Elle m'a offert une petite leçon au centre culturel Heian, autre nom du centre d'étude de calligraphie japonaise de l'école Kampô de Bruxelles. Elle n'hésite pas une seconde à prendre le pinceau pour montrer comment bouger. C'est son truc, bouger. Le corps entier participe à la création du trait. On a beau lire ce genre de formule des centaines de fois dans des livres très intelligents sur la question, voir cette petite femme ne faire devant soi tout naturellement et tracer le texte du jour avec une telle maîtrise, c'est beau.

dimanche, avril 16, 2006

Création


La calligraphie japonaise m'accompagne maintenant depuis deux ans. Des cours privés, des centaines de feuilles passées à la poubelle, quelques pinceaux... et parfois un résultat qui se laisse voir.

L'étude est longue, lente, et c'est tout l'intérêt de la chose. J'ai passé assez d'examens dans ma vie, j'ai assez de diplômes, autant de preuves officielles que je ne suis pas un idiot. Il était temps que je le redevienne. Quand le pinceau se pose sur la feuille, que l'encre immédiatement se répend lentement dans les fibres du papier, je suis à nouveau un idiot heureux qui s'émerveille de ce minuscule mouvement des éléments. Il n'y a rien à comprendre, rien à analyser, il suffit de voir, de faire, et de laisser faire. Le trait nait du mouvement du bras, la trace n'en est pas la conséquence mais l'essence. Et c'est tout. Juste un trait. Ça suffit.

Quand on écrit un caractère, on ne trace pas une forme arbitraire. Il n'y a pas d'absurde. Le monde est tout entier inclu dans ce trait noir. En créant tel mouvement plutôt qu'un autre, on exclut progressivement tous les caractères qui n'ont pas ce trait, et à chaque trait ajouté se réduit l'ensemble des possibles jusqu'à ce qu'un caractère unique ait pris possession de l'espace. On exclut même tout autre caractère que son caractère : le tracé est unique, même la maladresse de l'étudiant ne crée pas deux fois la même laideur, comme la maîtrise du calligraphe ne crée jamais deux fois la même beauté. Pour créer, il faut procéder par élimination. On part du tout, on arrive à l'unique...

聖人無常師 - seijin mu jô ji
Le sage n'a pas qu'un seul Maître - nous disent les Chinois. En quoi cela s'applique à un idiot volontaire qui prit le pinceau il y a deux ans et a encore tout à apprendre ? Je n'en sais rien. Une intuition malingre me dit de ne pas m'essayer à la sagesse avant l'heure. J'ai passé les deux dernières semaines à tracer cette formule, comme pour l'intérroger. Le papier ne répond jamais, qu'on se le dise. Comment pourtant ne pas voir le bon sens de ces quelques caractères. Ma seule sagesse consiste pour l'instant à ne pas avoir qu'un seul pinceau - il faut bien commencer quelque part. Ces mots n'ont pas d'auteur, ils tiennent debout tous seuls. A quoi bon savoir qui a dit quoi, quand les mots deviennent réalité par la simple application de n'importe quel pinceau chargé de n'importe quel encre sur n'importe quel papier. A-t-on besoin d'admirer la bouche qui prononça ces mots alors que ce sont ces mots eux-même qui sont admirables. Alors une fois sur mon papier, grâce à mon pinceau, au bout de mon bras, ce sont mes mots. C'est moi l'auteur. C'est écrit sur le papier, c'en est la preuve.